Pâlis, village en Forêt d'Othe

Commune nouvelle de Aix-Pâlis-Villemaur: la fausse note démocratique

Entre le 3 et le 6 juillet dernier, les conseils municipaux d’Aix-en-Othe, Villemaur-sur-Vanne et Pâlis ont voté le principe d’une commune nouvelle dont il a été question à plusieurs reprises dans la presse locale. Cette nouvelle collectivité territoriale propose d’utiliser les possibilités offertes par la loi Pélissard (2014) qui encourage le regroupement de communes, et vise à mettre en commun des budgets et des services pour renforcer les moyens communaux et mutualiser les compétences.

S’appuyant sur l’exemple semble-t-il réussi de la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou qui a émergé à la suite du regroupement de cinq communes angevines en 2013, une charte de gouvernance entre Aix-en-Othe, Pâlis et Villemaur-sur-Vanne a été élaborée très rapidement au printemps 2015, basée sur cet exemple venant de l’Ouest de la France. Il s’agit, effectivement, de mettre en commun budgets, biens et personnels communaux. Par ailleurs, des ressources –par exemple le futur captage d’eau situé à Villemaur-sur-Vanne-, ou des services –par exemple les transports par minibus d’Aix-en-Othe- seront mis à disposition de tous.

Sur le fond, effectivement, dans un contexte budgétaire contraint, on ne peut à première vue qu’adhérer au souhait des communes à se regrouper pour se renforcer, et cela est déjà le cas avec la Communauté de communes du Pays Aixois pour un certain nombre de compétences touchant au domaine économique et social. Cependant, la comparaison avec la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou qui est brandie avec enthousiasme par les porteurs du projet othéen, pose en réalité plus de questions et lève davantage d’inquiétudes qu’elle ne suscite l’adhésion.

En premier, il est utile de rappeler que le projet de Baugé-en-Anjou fut mûri durant deux années (2011-2013), avant d’être soumis au vote des différents conseils municipaux. Il fut construit à partir d’études et d’une série de trente réunions impliquant des élus, les services, des juristes, des acteurs du monde industriel, associatif, scolaire et social. Des réunions d’informations furent organisées, en particulier en direction des agents municipaux pour les préparer au nouveau contexte. Pendant deux ans, plusieurs réunions de conseil municipal furent consacrées au sujet dans chacune des cinq communes participantes. Pour la commune nouvelle d’Aix-Pâlis-Villemaur, on est aux antipodes d’une telle démarche et c’est un contraste sévère avec le projet angevin, puisque les premiers concernés, les habitants des trois communes othéennes, ont été laissés dans une totale ignorance de ce projet important jusqu’au dernier moment, la municipalité de Pâlis ayant même le culot d’organiser la première réunion d’information à l’avant-veille du vote définitif du projet en conseil municipal ! La plupart des habitants ont en fait découvert, incrédules, le projet de commune nouvelle grâce à la parution d’un article en une de l’Est-Eclair du 12 juin. Puis, en l’espace de 15 jours, mené à la hussarde par les porteurs, le projet a été voté à la quasi-unanimité par les élus d’Aix-en-Othe, de Pâlis et de Villemaur. Sans interaction avec les administrés et avec une communication pour le moins minimale, alors que les élections communales ont eu lieu en mars 2014 et que ce projet crucial pour l’avenir des communes aurait pu constituer un sujet central dans le programme électoral pour qu’il puisse être débattu par les électeurs. De même, les voeux de début d’année pouvaient être l’occasion de faire une première communication mais il n’en fut rien, et une confidentialité stricte aura été pratiquement maintenue jusqu’au bout.

Tant de précipitation, de duplicité, tant de silences laissent perplexe et quelques éléments peuvent être avancés pour tenter d’en comprendre le sens.

Pour réduire les déficits de l’Etat, les pouvoirs publics vont diminuer substantiellement dans les années à venir la dotation globale de fonctionnement (DGF), celle-ci constituant le premier apport de l’Etat au budget des communes. Seules celles s’étant regroupées en communes nouvelles avant le 1er janvier 2016 verront cette DGF gelée au cours des deux prochaines années et ne subiront donc pas de pertes de DGF. Pour Pâlis et Villemaur, cette perte serait de l’ordre de 28.000 à 43.000 euros sur les deux ans à venir, une perte qui, quoique importante, reste raisonnable au regard du montant des budgets communaux (500-700 k€). Il en est tout autre pour le bourg-centre d’Aix-en-Othe qui perdrait plus de 230.000 € de DGF sur la même période, une perte énorme qui, à l’évidence, pèserait dramatiquement sur son budget et sur ses projets à venir. On comprend donc mieux l’empressement pour Aix-en-Othe de constituer au plus vite une commune nouvelle. On touche là, en fait, le coeur du problème car il faut malheureusement admettre que le projet de commune nouvelle d’Aix-Pâlis-Villemaur a été lancé en urgence pour éviter les pertes de DGF à venir, un projet d’optimisation budgétaire en somme, sans qu’il y ait la moindre amorce de réflexion autour d’un projet commun à trois. Pour cela, il eut fallu suivre le modèle angevin, communiquer surtout, et autoriser de multiples réunions pour faire émerger une vraie dynamique de territoire. Les porteurs du projet othéen, suivant un adage bien connu, « le temps c’est de l’argent (DGF)», auront choisi une autre voie et auront donc sacrifié le débat et l’interaction avec leurs administrés pour éviter au maximum le couperet budgétaire, applicable dès le 1er janvier 2016. C’est sans aucun doute une erreur, à l’évidence dommageable pour l’avenir, car de multiples exemples contemporains montrent bien que lorsque l’argent est seul moteur de décision, lorsque l’effet d’aubaine fonctionne à son maximum, les projets montés sans concertation ne sont pas viables, pour le plus grand dommage futur des citoyens concernés. Les porteurs du projet auraient été plus avisés de suivre la stratégie qu’ils mirent en place voici quelques années pour la création du Syndicat Mixte du Pays d’Othe dont la charte fut patiemment élaborée après la création de commissions dédiées et de multiples réunions avec les forces vives du territoire.

Deuxièmement, il n’aura échappé à personne que dans ce projet, on trouve un ogre et deux Petits Poucets. Hormis la différence de budget colossale avec ses voisines, la commune d’Aix-en-Othe compte entre quatre et cinq fois plus d’habitants que Pâlis et Villemaur-sur-Vanne, et emploie jusqu’à douze fois plus de personnel communal que ses futurs partenaires. C’est encore une différence importante avec l’exemple célébré de Baugé-en-Anjou dont la commune nouvelle fut constituée autour de deux bourg-centres plutôt équilibrés en termes d’habitants permettant d’éviter de potentielles dérives et l’hégémonie. Dans le cas othéen, l’on est malheureusement en présence d’un déséquilibre manifeste ce qui n’offre guère comme perspective en matière d’avenir pour Pâlis et Villemaur, que d’être absorbés et d’acquérir le même statut que les autres petits ou minuscules hameaux d’Aix-en-Othe. Pourtant, ces deux villages sont loin de figurer parmi les plus petites communes du département, Pâlis et Villemaur étant respectivement les 71e et 103e plus peuplées des 431 communes de l’Aube. La logique de loi Pélissard visant notamment le regroupement des plus petites communes ne fonctionne donc point ici et sacrifie, au contraire, l’indépendance de communes suffisamment structurées et ayant une marge de manoeuvre budgétaire certaine. L’ogre se sera donc intéressé à des proies qui n’auraient jamais dû tomber dans son assiette. Ce faisant, l’isolement des plus petites communes du bassin de vie entre Othe et Vanne n’en sort que plus renforcé.

Enfin, il faut s’inquiéter des perturbations qui ne manqueront pas de remettre en cause des équilibres et des habitudes établis à l’échelle locale, parfois de manière séculaire. Il en est ainsi pour les centres de première intervention des sapeurs-pompiers, des agents communaux, des associations dont le sort et le subventionnement ne semblent pas remis en cause pour l’instant par la charte. Qu’en sera-t-il demain ? Rien n’interdit une modification des pratiques et de la charte, compte tenu du poids démesuré d’une des communes partenaires et de son appétit d’hégémonie, pour accroître en force la vitalité du bourg-centre au détriment des « petites » communes et de leur vie de village. Il semble ainsi difficile d’imaginer que le syndicat scolaire impliquant Pâlis, Villemaur et Neuville-sur-Vanne puisse survivre, à terme, à de tels bouleversements. Telles sont des questions qui ne manqueront pas de surgir très rapidement, et qu’il eut été intelligent de traiter avant de se lancer, sans concertation avec les habitants, dans l’aventure.

Sur tous ces points, les porteurs du projet de commune nouvelle ont très tardivement délivré des discours rassurants après la publication du projet dans la presse locale, le tout étant d’éviter d’effrayer la population. Il était difficile de faire plus compte tenu du grand secret dans lequel le projet a été monté. Mais il est ici tentant de faire le rapprochement, toutes proportions gardées, avec la construction européenne récente déconnectée des aspirations des peuples ou, en France, de la privatisation historique des services publics survenue voici une quinzaine d’années : poste, électricité, gaz et téléphone. Concernant ces derniers faits, pour gagner l’acceptabilité du public, le gouvernement d’alors tenta de rassurer les citoyens en insistant sur le fait que rien n’allait changer et qu’il s’agissait juste d’une modification technique et opérationnelle. On sait ce qu’il advint. Une fois le processus enclenché de manière irréversible, les services publics et l’emploi furent supprimés sans scrupules. On peut donc très légitimement s’interroger sur ce que deviendront les services, les écoles et les emplois dans les deux communes absorbées par Aix-en-Othe.

Il est encore temps de suspendre le processus, d’impliquer les habitants et les administrés pour un vrai projet pas seulement basé sur la perte de DGF. Pour beaucoup, le choc fut sévère à la lecture de l’Est-Eclair du 12 juin, un comble lorsque l’on songe que le maire est l’élu de proximité par excellence, avec lequel l’information est, en principe, directement partagée. Or, dans le cas présent, les maires renoncèrent à impliquer leurs administrés pour une raison qui reste encore aujourd’hui très largement incomprise.

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